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    "Ils ont cloué des planches, on n'y arrivera pas !

    "Mais si, j'ai mon couteau !"

    "Ca va faire du bruit, on devrait attendre la nuit ! "

    " J'ai trop faim . Et j'espère ramener des provisions à la maison pour ne pas avoir à sortir pendant quelque temps".

    "C'est sinistre ces immeubles vides, ça me file le bourdon"

    "Ne t'en occupe pas ! Tout ce qui compte c'est trouver de quoi manger. Apparemment cette épicerie perdue dans ces petites rues a été oubliée, quelle chance !"

    "Attention quand nous allons passer dans la zone éclairée ! Je te l'ai dit : on aurait dû venir de nuit ! "

    "Et risquer de se faire passer devant ? Pas question ! ?

    "Par qui ? Personne ne sort, ils attendent tous bien sagement leurs tickets de rationnement, de la farine, de l'huile, du sucre, beurk. Tu crois qu'il y aura des sardines ? Je rêve d'une boite de sardines ! "

    "Un cassoulet en boite , une choucroute, mmmm... Allez on fonce ! "

    PAN ! PAN !

    " Deux de plus  ! Quelle bonne idée mon commandant cette épicerie ! Avec ces planches on ne voit pas qu'elle est vide !"

    "Oui ! Comme ça on les chope un par un, tous ceux qui ne respectent pas le couvre-feu. Ils débouchent de cette rue en courant, en pleine lumière, un vrai stand de tir ! Ca me rappelle avec mon père à la Foire, il fallait dégommer les personnages . Haut comme trois pommes je me débrouillais déjà bien !  Mais c'est pas tout ça, faut les mettre avec les autres, en contrebas et attendre les suivants ! Vite, je crois que j'entends des voix au loin ! Allez Soldat, les prochains seront pour vous, j'ai largement eu mon compte ce soir, y a pas de raison ! "

    "Oh, merci mon Commandant !"


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    "Voyons, prends ce parapluie, tu vas être mouillée ! "

    "Non !"

    "Quelle mouche te pique ?"

    "Je ne veux plus y aller ! Je veux rentrer chez moi "

    "Tu es folle ! Tu sais bien ce qu'ils nous ont expliqué avant de nous distribuer les parapluies : tous les jeunes entre dix-huit et vingt cinq doivent se rendre à la navette pour être sauvés"

    "Je ne veux plus partir sur leur planête à la noix ! Je ne veux quitter ni mes parents, ni mon petit frère, ni mon chat !"

    "Flore, sois raisonnable, la vie n'est plus possible ici, c'est la fin !"

    " Alors qu'ils évacuent nos familles aussi ! "

    "Ils nous l'ont expliqué : les vieux ne serviraient à rien et les enfants ce serait trop trop compliqué sans leurs parents. Ils veulent installer ceux en âge de refonder une population, de redémarrer une humanité. Ils le font dans tous les pays. Et tu vois cette file ? Tout le monde a bien compris ! Sauf toi !"

    "Laisse-moi, vas y, toi ! "

    "Mais ici tu sais ce qui t'attend ? "

    "C'est mon choix : je reste avec les miens, jusqu'au bout,  ceux que j'aime ! "

    "Moi, tu ne m'aimes pas alors ?"

    "Si Lisa, tu es ma meilleure amie et tu vas beaucoup me manquer. Mais dis -moi, ça t'enchante toi cette idée de servir de reproductrice ?"

    "Ils ont bien dit qu'on pourrait choisir. Il y aura tant de jeunes. On aura bien plus de choix que dans notre petite ville ! "

    "Ouais ben moi ça ne me fait pas rêver ! Adieu Lisa !"

    "Adieu Flore ! "


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    Voilà. J'attache cette mêche rebelle et c'est bon. Ah si ! un petit peu de fard à joues peut être, un rose légèrement orangé pour tempérer ma pâleur naturelle, ma peau diaphane de rousse.
    Bien sûr j'ai choisi cette robe verte, la couleur complémentaire !, qui laisse voir mes épaules et mon dos couleur de porcelaine.

    Je sais qu'il n'y résistera pas. Je plongerai mes yeux dans les siens et un sourire timide le fera se sentir un Prince, un Chevalier. Et je l'écouterai. De toute mon attention et de toutes mes oreilles. Même si je pense à autre chose. J'y arrive très bien. Il parlera, parlera, se sentira tellement irrésistible, tellement intelligent.

    Puis quelques danses, d'abord à une distance dictée par ma pudeur naturelle (ha ha !) de jeune femme réservée et bien élevée, puis au rythme de la musique et comme par inadvertance, je viendrai coller mon petit corps frémissant contre le sien. Tout contre.

    Là, c'est sûr, il deviendra fou.

    Puis nous retournerons nous asseoir , il s'installera le plus près possible, sa cuisse contre la mienne, il voudra me faire rire et je rirai beaucoup, tout le temps, pour bien lui montrer combien il est spirituel. Je m'arrangerai pour que quelques mèches de cheveux s'échappent et retombent sur mes épaules secouées par le  rire. Ca l'achèvera.

    Après ? Après il sera à moi.

    Et il quittera Heure Bleue, sans regret.


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  • Enfin le jour se lève ! Plusieurs heures que j'attends. Bien sûr j'ai d'abord pris mon petit déjeuner, et puis Madame Hubert est venue m'apporter les courses et ranger un peu. Mais maintenant elle est repartie avec la liste pour demain. Je ne serai plus dérangé.

    Me voici à mon poste. La rue est calme, comme toujours à cette heure. C'est beau en automne avec ces couleurs chaudes. Mais j'aime bien la neige en hiver aussi, quand tout est blanc.

    Il est huit heures, dans quelques minutes, le premier à sortir sera l'homme du 3, une vingtaine de minutes plus tard la femme du 5 avec sa marmaille en partance pour l'école, bien plus tard la petite vieille du 9 avec son chien qui va encore se soulager sur le trottoir et plus tard je verrai quelqu'un tempêter à ce sujet.

    Il y a aussi ceux qui passent tous les jours à la même heure mais la vue que j'ai d'ici ne me permet pas de savoir d'où ils viennent. Par exemple ce couple très élégant toujours se tenant par le bras ou la taille. Comme nous aurions pu être tous les deux si tu l'avais voulu.

    Et puis à presque midi, ou parfois mêmes en début d'après midi, et que l'attente me paraît longue alors, il y a toi. Au numéro 7, cette porte que je ne quitte pas des yeux.
    C'est toujours la même chose : tu commences par passer la tête et regarder le ciel et si besoin tu vas changer de manteau ou chercher un parapluie. Aujourd'hui tu n'en auras pas besoin. Je suis sûr que tu auras ta veste bleu marine, avec sûrement un foulard car le temps fraîchit. Tu as toujours été fragile de la gorge. Et puis, à l'aide de ta canne, tu descendras les quelques marches du perron et tu ouvriras le portail sur la rue. A ce moment je te verrai encore mieux. Un peu plus menue qu'autrefois, un peu voutée même, mais toujours ce léger déhanchement quand tu remonteras la rue. Tu as toujours marché comme une danseuse.

    Tu ne sais pas que je suis là. Je suis sûre que cela te contrarierait, que tu y trouverais encore à redire ! Tu ne te doutes pas que j'ai toujours été là ! Depuis le jour, il y a une vingtaine d'années où tu m'as quitté. Pas toujours aussi bien placé, il n'y a que quelques années que j'ai eu l'opportunité d'acheter cet appartement avec vue sur le 7 de la rue des Erables. Je l'ai cherché longtemps ! Mais j'ai toujours été dans le même quartier, à quelques rues et pour te voir je devais sortir de chez moi et me cacher. Ce n'était pas aussi confortable ! Là j'ai mon fauteuil, ma théière sur la table basse, les gâteaux de Madame Hubert, et j'attends que tu sortes, puis que tu rentres.

    Il y a eu des années difficiles pour moi, très difficiles, par exemple lorsque tu t'étais mise en ménage avec ce gaillard aux cheveux fous et après avec le gros au crâne dégarni. Mais maintenant c'est fini tout ça. A nos âges ! Peu de chance que tu rencontres le prince charmant  avec ta canne et tes cheveux blancs.

    Tu n'as sûrement pas compté mais moi si : dans quelques jours ce sera le vingtième anniversaire de ce jour funeste où tu m'as mis à la porte, avec ces mots terribles : que j'étais possessif, que je t'empêchais de respirer, que tu étouffais et d'autres méchancetés du même genre.

    Alors voilà ce que je vais faire, je me suis déjà arrangé avec Madame Hubert, elle viendra avec son fils pour l'aider à me descendre et à m'installer sur mon fauteuil roulant, hé oui moi non plus je ne rajeunis pas. D'ailleurs je ne sors presque plus, elle me le dit assez, Madame Hubert : " vous devriez sortir un peu, prendre l'air, c'est pas bon de rester enfermé comme ça " et gna gna gna..

    Tous les jours tu remontes la rue, probablement pour aller faire tes courses car je te vois revenir avec ton cabas plein. Je vais la monter avant toi et je me posterai juste derrière le tournant pour que tu ne me voies pas de loin, je veux que la surprise soit complête. J'espère juste que ce sera un jour où tu sors le matin, autrement mon attente va être longue...

    Bien sûr je ferai semblant d'être surpris aussi. Tu ne pourras pas faire autrement que de me proposer de faire un bout de chemin ensemble, nous ferons une drôle d'équipe : moi en fauteuil et toi avec ta canne ! Ou bien tu m'inviteras à venir prendre le thé pour nous raconter tout ce que nous avons fait toutes ces années. Je ferai semblant de ne rien savoir, et je ferai semblant d'avoir eu une vie alors que je n'ai fait que t'attendre.

    Et qui sait ??


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