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     (le jeu de Lakévio)

     

     

     

    Eurypyle (Détail) John William Godward 1921

     

    J'avais remarqué ce collier au cou de Sylvia. Il me plaisait trop ! Le bleu ce sont des perles de lapis-lazuli m'a-t-elle dit, le jaune elle ne savait pas. C'est son grand père qui lui a rapporté des Indes.

     

    Alors lorsqu'elle m'a invitée chez elle l'autre jour et que je l'ai vu dans sa sallle de bain , je n'ai pas résisté !

     

    Bien sûr je ne le mettrai pas pour aller au Lycée. En fait, par précaution, je ne le mettrai qu'en week-end, lorsque je serai bien sûre de ne pas la rencontrer. De toutes façons nous déménageons dans six mois, il n'y aura plus de risque.

     

    Après tout je trouve qu'il me va largement mieux qu'à elle ! Elle est quelconque, fade, un bijou comme ça  c'est de la confiture pour des cochons ! En plus elle est pétée de thunes, des colliers elle peut en avoir tant qu'elle en veut. Alors que moi..

     

    Elle s'est assez vite aperçue de sa disparition, pleurnichant que son grand-père était mort peu après le lui avoir offert et gnan gnan gnan..

     

    "De quel collier tu parles ? Je ne vois pas "

     

    "Mais si, un jaune et bleu, des pierres semi-précieuses. Bon-Papa m'avait même assuré qu'il portait sûrement bonheur car il l'avait acheté à une vieille indienne qui le lui avait dit  ! "

     

    "Des bétises ! me suis-je exclamée en me félicitant encore de mon initiative. Ainsi en plus d'être si joli, il allait me porter chance !

     

    Il n'a pas porté chance à Lisette, sa nouvelle femme de ménage que l'on a accusée de l'avoir dérobé. Ils l'ont fichue à la porte. Elle a fait plus que pleurnicher elle d'avoir perdu son emploi surtout que son mari la bat, tout le monde le sait, et le lendemain elle avait un oeil au beurre noir la pauvre fille, je l'ai aperçue près de l'Eglise. Bien sûr  ça lui fait moins d'argent qui rentre pour se payer ses litrons alors ça a dû le contrarier grave !

     

    Mais moi, ça va, il a déjà commencé à me porter bonheur : je l'avais mis dimanche à la fête du club de jeunes de la Paroisse - sylvia ne risquait pas d' y être elle avait la grippe (hé ouais c'est comme ça quand on perd son porte-bonheur ! )- avec une jolie robe et des rubans dans les cheveux, j'ai vu le regard des garçons quand je suis entrée et devinez-quoi ? Bertrand est venu m'inviter à danser, le mec le plus beau du lycée, et il ne m'a pas lâchée de la soirée, les filles elles étaient enragées, j'ai vu leurs têtes ! Et on doit se revoir la semaine prochaîne ! J'ai un petit haut du bleu de ces perles, je le mettrai, il sera à mes pieds !


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  •  (le jeu de Lakevio)

     

    Jasmine Hsiao Hui Huang

    Des fleurs ! Elle a encore cueilli des fleurs ! Et les roses du jardin en plus !

    Elle n'a vraiment rien à faire de la journée. Parce que ça oui, elle met des fleurs, ça oui. Mais le ménage ! Regardez moi ça : les bols du matin toujours pas débarassés, le vin d'hier,  un désordre.. et cette poussière...

    Je reviens d'une journée de travail, exténué, et je ne sais même pas où m'asseoir.

    Je suis sûr que le repas n'est  pas prêt, elle doit encore être en train de rêvasser dans un coin.

    Ma mère me l'avait dit : "c'est une feignante, Albert tu épouses une feignante, tu le regretteras ! "

    Seulement c'était la plus belle du village. Quand elle me regardait avec ses magnifiques yeux en amande et me souriait... D'ailleurs tous mes copains étaient jaloux. La tête qu'ils ont fait lorsque je leur ai annoncé que je l'épousais. Bon, moins pire que celle de ma mère, hein ! Elle en a perdu le sommeil. Je l'entendais marcher la nuit. Moi non plus je ne dormais pas tellement j'étais impatient.

    Les premières années ont été merveilleuses. Elle mettait tant de joie et de poésie dans ma vie. De rire aussi, chez moi on ne riait pas.

    Et puis il a bien fallu que je travaille, que je rentre de plus en plus tard avec des soucis pleins la tête.
    Elle me raconte ses journées, l'oiseau sauvé des griffes du chat, le potin entendu au marché, son dernier dessin, sa promenade sur la falaise, une blague entendue à la radio, et elle éclate de rire, rayonnante.

    Moi je suis fatigué. Mon patron me fixe des objectifs impossibles à atteindre , ma mère ne va pas bien depuis que mon père est décédé, elle m'appelle sans arrêt et m'accable de reproches : que je ne viens pas assez souvent. Mais Priscilla n'aime pas y aller "vous êtes si...lugubres...dans cette famille, me dit-elle, si on allait au ciné plutôt ?"

    J'ai faim. Il n'y a sûrement rien dans le frigo, les courses et elle ça fait deux ! Elle part avec une liste mais, pour peu qu'elle papote avec quelqu'un, qu'elle feuillette un magazine, qu'elle essaye une paire de chaussure et elle en oublie la moitié. Et s'en fiche éperdument : "bon tant pis, on va faire des pâtes au beurre ". Les coquillettes au beurre c'est deux repas sur trois.

    Pour elle rien n'est grave, sauf peut être l'état de santé de l'oiseau !

    Je ne dis pas que je regrette mais... je suis fatigué. Je voudrais rentrer le soir, trouver un repas préparé, me reposer devant un film ou rester simplement devant la cheminée avec un livre, et prendre des forces pour demain.

    Et je me fiche totalement qu'il y ait des fleurs fraîchement coupées dans un vase !


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    Edward Hopper People in the Sun

     

    Dire que j'ai économisé pendant six mois pour venir passer les vacances ici. Où, entre parenthèses, il n'y a strictement rien à faire, à part, comme eux, lézarder au soleil  !
    C'est ma mère qui a insisté : "vas y ! Dans ces clubs de vacances on fait des rencontres ! C'est fait pour ça ! A quarante-trois ans tu ne vas quand même pas venir encore  à la campagne avec nous !  Il faut te bouger si tu ne veux pas finir vieille fille ! Déjà que pour les enfants ça va être trop tard. Dire que je ne serai pas grand-mère...rien que d'y penser ça me rend malade...Toutes mes amies ont des petits enfants. Même le fils de la voisine qui est si laid s'est trouvé une mignonne petite femme qui lui a fait deux enfants ! Mais comment tu t'es débrouillée ? "

    Comment je me suis débrouillée ? Et bien je n'ai pas rencontré voilà. Déjà je ne suis pas un canon, peut être pas autant que le fils la voisine, mais je suis banale à pleurer : cheveux chatains filasses, yeux bleux mais trop délavés, teint blafard et un peu trop maigre.
    Et à l'Agence, une fois repoussé les avances de mon patron qui est marié et père de famille, et saute sur tout ce qui porte un jupon, ce porc, il n'y a que des femmes.

    Et non, chère Mère, comme je te l'ai maintes et maintes fois dit  : je n'ai pas de copine qui pourrait me présenter quelqu'un. Pour la bonne raison que je n'ai pas de copines du tout. Celles que j'avais sont mariées et n'ont plus de temps pour moi. Et je n'en avais que deux.

    Mais j'ai fait ce que tu m'as dit, je me suis inscrite pour ce séjour. Un flop total. 
    D'abord plus de la moitié sont en couple ou en groupe et restent entre eux, comme les quatre devant là .Le reste ? Et bien il y a des solitaires comme le mec derrière qui lit. J'ai essayé de lui adresser la parole

    "Bonjour, où avez vous trouvé votre chaise-longue ? "
    "Dans l'appentis là "
    "Ah merci, je vais aller m'en chercher une. Vous lisez quoi ? "
    "Un livre de science-fiction"
    "Il est bien  ? "
    "Oui".

    Rideau, il s'est remis à lire . Je ne vais même pas aller me chercher une chaise-longue. Je vais aller marcher un peu, ça me changera les idées.

    Le problème c'est aussi qu'il y a une petite dizaine de filles seules, comme moi, mais je ne sais pas comment elles font : elles sont détendues, souriantes, elles rient fort, et ,à part l' autiste de la guerre des étoiles, tous les célibataires leur tournent autour. C'est comme si j'étais transparente, personne ne me voit. J'ai bien constaté : il y a déjà plusieurs couples qui se sont formés.

    Ma chère Mère, si tu avais voulu avoir des petits enfants, il fallait me faire plus attirante . Comme tu me l'as souvent dit je ressemble à mon père avec son sale caractère d'ours mal lêché.

    "Mademoiselle ! Je suis allé vous chercher une chaise-longue, si vous voulez profiter du soleil.."
    "Non merci j'ai décidé d'aller me promener finalement ! "
    "Ah ? Bon.. alors je vais la ranger.. Au revoir, bonne promenade "

    Oh mais quelle idiote je suis...!  Sûr qu'il ne se risquera plus à m'adresser la parole ! Tiens d'ailleurs je vois qu'une de ces bombasses lui demande la chaise-longue et qu'il la lui tend. Il lui montre son bouquin !  Elle fait semblant de s'intéresser, ils discutent en souriant, elle rit ! Comme ils ont l'air stupide maintenant sur leurs chaises, le visage tendu vers le soleil à bavasser comme deux commères ! Au moins les quatre devant ne parlent pas. Ha ha  c'est ça les couples au bout d'un moment : plus rien à se dire ! Ah on est mieux toute seule !

    Bon allez je vais la faire cette fichue promenade..

     


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