• - Comme tu es belle avec ton chemisier de la couleur de tes yeux !

    - Merci Papa, tu es gentil.

    - Mais non je dis la vérité : tu es magnifique !

    - A quoi bon ?

    - Comment ça "à quoi bon " ? Je voudrais te voir sourire, Anaïd, tu es jeune, tu as la vie devant toi.

    - Tu parles...

    - Tu es une très jolie fille et intelligente en plus, regarde ce diplôme que tu viens de réussir haut la main.

    - Tu sais, je n'ai que ça à faire de bûcher mes cours..

    - Justement, maintenant tu es tranquille jusqu'à la rentrée lorsque tu passeras au niveau supérieur, en attendant il faut que tu profites de tes vacances, que tu sortes, je ne sais pas moi, tu pourrais aller au cinéma, visiter une belle ville d'Europe, nous pourrions aller avec toi ou ton frère,  aller à la plage...

    - C'est compliqué..

    - N'importe quoi au lieu de rester assise à lire ou étudier encore !

    - "au lieu de rester assise "? Très drôle vraiment !

    - Oh excuse moi, Anaïd, je ne réfléchissais pas... Je voudrais que tu sois heureuse ma chérie, et pourquoi pas, que tu rencontres quelqu'un de bien .

    - Qui voudrait de moi !

    - Qui ? Mais beaucoup de personnes intelligentes !

    - Arrête Papa, ces discussions me font mal. Ouvre les yeux enfin ! Qui voudrait d'une pauvre fille en fauteuil roulant même avec les plus beaux yeux du monde ! Dans ce domaine ma vie est finie, je le sais bien, tout ce qu'il me reste c'est de décrocher un super job qui m'occupe bien la tête les trente prochaines années, c'est ça ou mettre fin à ses jours...

    - Ma chérie ! Ne dis pas des choses pareilles !

    - C'était mon destin, Papa, on ne l'aurait jamais imaginé hein ? Moi la fille entourée de soupirants qui dansait jusqu'au bout de la nuit, moi la championne d'équitation, moi la skieuse qui laissait tout le monde derrière elle. Maintenant il me reste à m'occuper le cerveau pour ne pas sombrer dans la dépression. Que veux-tu, je me suis trouvée au mauvais moment au mauvais endroit : à trente centimètres près j'étais indemne, à trente centimètres près j'étais morte. A quoi ça tient...

    - Oui il faut voir ça : dans ton malheur tu as eu de la chance, le camion a tué beaucoup de gens.

    - Oui, on va dire comme ça, Papa, j'ai eu de la chance.

     


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  • Paul Rafferty - Hydrangeas contre-jour

     

     

    Ma chérie, assieds toi sur ce fauteuil, il faut que je te parle. Tu vois je t'ai acheté tes fleurs préférées !

    Bon ce que j'ai à te dire n'est pas facile. En fait je repousse depuis six mois mais maintenant ce n'est plus possible. Je sais que tu es une personne courageuse, une battante !

    Voilà, tu l'as déjà rencontrée je crois : Mylène, ma nouvelle secrétaire ? Bon, hé bien je n'irai pas par quatre chemins : nous nous aimons !  Non ! Ne commence pas à pleurnicher, nous sommes des adultes non ? Tu prônes toujours la franchise, alors voilà : je suis franc.

    J'approche la cinquantaine, oui , toi aussi, cette jeune femme est une sorte de bain de jouvence, sa jeunesse...Combien ? Vingt-cinq ans. Ben quoi, elle n'est pas mineure ! Donc je disais sa jeunesse me donne une énergie que j'avais perdue, je me sens prêt à décrocher la lune. D'ailleurs ça se ressent sur mes résultats, le Boss m'a encore complimenté pas plus tard qu'hier ! Ecoute, prends un mouchoir, c'est dégoûtant !

    Les enfants ? Et bien ils se débrouilleront très bien. Je sais que tu es une excellente mère, la meilleure ! tu sauras t'en occuper à merveille, comme toujours ma chérie. Les prendre ? Ah non, je ne te ferai pas une chose pareille. Voyons, Mylène est un peu jeune pour se retrouver avec cinq enfants ! Et puis nous avons l'intention de voyager, comment ferions nous ?

    Je ne voulais jamais voyager ? Mouche toi veux tu ! Hé bien j'ai changé vois-tu ! Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis ! Mylène veut aller en Asie et en Amérique du sud. Elle est tellement pleine de vie. Elle me tire vers le haut !

    Contrôle toi voyons ! Ce n'est pas si terrible ! Tout le monde divorce de nos jours ! Rends toi compte comme tu es gâtée : tu resteras dans cette belle maison avec tes enfants pour te tenir compagnie. Du moins dans les premiers temps, après bien sûr il faudra la vendre et chacun pourra s'installer à son goût. Je suis sûr que tu resteras dans cet endroit champêtre, tu aimes tellement la campagne !  Moi j'irai en ville, près de tous ces endroits que Mylène affectionne : les cinémas, les boites de nuit etc.. Je déteste les boites de nuit ? Mais non ! J'y ai repris goût : danser jusqu'à l'aube ça ne me fait pas peur. Si toi tu te sens vieille , pas moi ! Pas du tout ! Je peux te l'assurer aucun de ces freluquets qui lorgnent vers Mylène n'en auront la possibilité. Nous passerons la nuit sur la piste de danse ! Arrête de pleurer ça m'exaspère !

    Qu'est ce qu'elle peut me trouver ? Ma pauvre fille va ! Je te l'ai dit : elle m'a donné une nouvelle jeunesse, quelques rides et quelques cheveux blancs n'ont aucune importance. Prends un autre paquet de kleenex s'il te plaît, tu es lamentable ! Je sais bien que les enfants, du moins au début, vont prendre ton parti, tu les as tellement pourri-gâtés, mais ils évolueront, les ainés en tout cas, et ils vont adorer Mylène Je serai si fier de la leur présenter...Mais je ne veux pas brusquer les choses, nous attendrons que tout s'apaise. Non ! ça ne la fera pas fuir, pas du tout !

    Quoi ? Tu ne me reprendras pas même si je te supplie ? Mais qu'est ce que tu t'imagines ! Notre amour est si grand, si beau !  Il ne finira jamais ! Surtout maintenant que nous allons enfin pouvoir vivre ensemble ! Se réveiller ensemble le matin, s'aimer à n'importe quel moment, excuse-moi pour ce détail, c'est un sujet qu'il vaut mieux ne pas aborder,  se promener la main dans la main. Je me sens comme un jeune homme !

    Quelles ronflements ? Quels maux d'estomac ? Quel lumbago ? Quel régime anti-cholestérol ? Mais ma pauvre fille, ce que tu peux être terre à terre ! Ah tu n'as jamais été une romantique toi !


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  • Et dire que je me suis fâchée avec toute ma famille pour lui !  Mes parents n'ont pas accepté que je m'entiche, comme ils disent, d'un mécanicien latino, moi l'héritière d'une famille de notables, fille unique en plus ! J'ai ma mère de temps en temps au téléphone, soit hargneuse, soit pleurnicharde, mais mon père ne me parle plus.

    je dois me contenter de ce petit studio au sixième étage d'un immeuble crasseux et dans ce quartier populaire, moi qui habitais avenue Foch. Au début je trouvais ça amusant, les courses à la supérette du coin, la dinette dans la kitchenette. Je m'en fichais de la douche exigüe et du manque de placards, de toutes façons , en dehors de mon travail chez Papa (qui m'a refusé toute augmentation du coup), c'est plutôt au lit que nous passions notre temps !

    Mais bon, même de ça on a un peu fait le tour, enfin moi surtout ! Beaucoup de choses m'agacent. Déjà sa main de propriétaire sur ma cuisse : je n'appartiens à personne ! Et puis je me rends compte qu'on n'a plus grand chose à se dire . En avions-nous tant que ça avant ? Pas sûr.. Il embrassait divinement et le reste, n'en parlons pas ! Mais maintenant ça commence à me saouler : il veut tout le temps, on croirait qu'il ne pense qu'à ça ! Là, il lit tranquillement, mais dès qu'il aura posé son livre, c'est à dire au bas mot dans un quart d'heure car il n'aime pas lire, il va avoir l'idée, c'est sûr ! Hier soir et ce matin je suis sûre que c'est déjà loin pour lui et que ça commence déjà à le titiller, pfff

    J'aimerais sortir, voir des amis, mais nous n'en avons pas, les miens se sont peu à peu éloignés, aller au cinéma , au théâtre, que sais-je... Il se joue "la Double Inconstance"  à deux rues d'ici. Je lui en ai parlé "Cé dé qui ?" m'a-t-il demandé ""d'un auteur classique : Marivaux" "Oh Mi Amor, tou sais bien  qué yo soy quelqu'oune de moderno ! Yo soy pas allé longtemps à l'école moi ! Allons voir oune western ploutot".

    Un an que je n'ai pas vu une expo ! Je n'arrive même pas à lire sans qu'il m'interrompe tout le temps : "on se fait oune petite calinou mi Amor ?"NON !Pas de calinou ! Plus de calinou ! Mi Amor n'en peut plous des calinous  ! Mi Amor va se casser, et pas plus tard que demain quand il sera au travail, elle va prendre toutes ses affaires et retourner avenue Foch où aucun reproche, aucun "je te l'avais bien dit" ne sera toléré, elle va les briefer dès l'arrivée. Et sur sa lancée, puisque les vacances approchent, Mi Amor partira en vacances avec les copines. Elles aussi seront tellement contentes de la retrouver qu'elles se garderont bien de la contrarier.

    Famille, amis, préparez les réjouissances, l'enfant prodigue est de retour !


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    Dan Volenec - nobody-takes-buses-anymore

     

    Terminus Porte d'Orléans, pourquoi pas ? On m'aurait annoncé Porte des Lilas ça m'aurait fait le même effet. Même si c'est à l'opposé. M'en fiche totalement ! Une fois au bout je trouverai bien un autre bus qui m'emmènera où il veut, en grande banlieue par exemple. Et après ? Je poursuivrai ma route.

    Bien sûr, j'aurais mieux fait d'aller tout de suite dans une gare, ça aurait été plus efficace question distance. Mais je n'y ai même pas réfléchi. Je suppose que c'est ce qu'on définit comme "agir sur un coup de tête"...

    Je ne sais pas où je vais. Je ne sais plus rien. Dehors il pleut des cordes. Une pluie glacée d'hiver. Là je suis au sec et au chaud. En plus, en pleine journée il n'y a pas trop de monde, je peux être confortablement assise.

    Ca va vers où la Porte d'Orléans ? Vers le sud. Ca ira très bien. Qu'est ce qu'il y a au sud ?  Fontainebleau ? Ca doit être joli, Fontainebleau. Une bonne étape pour dormir par exemple et puis je descendrai plus bas, beaucoup plus bas. Je veux du soleil !  Je n'ai pas de pyjama, ni de trousse de toilette. Pas pensé à les prendre lorsque j'ai claqué la porte de ce fichu appartement ! M'en passerai !

    Il faut que je me concentre sur moi. C'est ce que me serinait le psy, cette andouille, qui n'avait pas mieux compris la situation que moi ! Mais ce conseil-là, je vais le suivre.

    Ne pas penser à Robin, sa nourrice ne le mettra pas sur le palier, elle appellera Jérome "Comment ça Violaine n'est pas venue le chercher ? Mais c'est que j'ai une réunion môa ! ". Ne pas penser à Samantha : l'école a dû prévoir ce cas, ils ne vont pas appeler la Police, ils appelleront Jérome "Elle n'était pas à la sortie d'école non plus ? "

    Lui non plus n'appellera pas la Police car en rentrant il trouvera mon message écrit en rouge sur le mur du salon avec un des gros feutres de Samantha ( "pourquoi Maman elle a le droit et pas moi ?").

    "Je pars, tu peux appeler Lucette et le lui annoncer. Je vous souhaite une belle vie. Pour vous elle est déjà commencée depuis trois ans si j'ai bien compris (avant Robin :  très élégant !)
    Cependant, sans vouloir gâcher votre bonheur, je te fais une liste de quelques petites choses à ne pas oublier : le rendez-vous de Samantha chez l'orthophoniste tous les jeudis matin, les vacances de la nourrice la semaine prochaine ( prévoies de demander un congé de quinze jours), tes parents qui viennent pour le week-end, le vaccin du chien vendredi. Le plombier pour la chaudière doit également passer.
    Question santé ne pas oublier les gouttes de Robin et son régime strict sans lactose et sans gluten. Nécessité de lui faire des purées-maison (dont celles à apporter chaque jour à la nourrice), je suis sûre que Lucette saura, sous ses airs "talons vertigineux, faux cils  et ongles vermillons" c'est sûrement une excellente maîtresse de maison ! Il faut aussi le changer très régulièrement. Par exemple , comme c'est souvent le cas, s'il se réveille la nuit, car il est sujet aux irritations. C'est un enfant qui demande beaucoup de soins. Mais tellement affectueux..Lucette va en être folle, elle a l'air si maternelle ! Qu'elle fasse seulement attention à ses ongles pointus, elle pourrait le blesser.


    Quant à Samantha, qui, comme tu le sais, est assez difficile depuis la naissance de son petit frère, il faut faire preuve de patience, ça finira par s'arranger. Il faut lui consacrer beaucoup de temps  le soir  lorsque Robin est couché. Je sais, parfois ça traîne en longueur d'autant que ce n'est pas une grosse dormeuse : l'histoire à lire (Lucette a sûrement une très jolie voix), les dents à laver, les multiples appels pour un verre d'eau, un pipi, un cauchemar, la lumière etc.. Un conseil ; après, ne traînez pas trop car Robin est très matinal, week-end compris !

    Ah j'oubliais, je n'ai rien dit à tes parents, tu leur présenteras Lucette. Avertis- la qu'ils aiment la cuisine française classique et les gâteaux-maison et beaucoup regarder les albums-photos. Il faut qu'elle leur fasse bonne impression ! Elle va devoir me remplacer pour le scrabble de l'après-midi avec ta maman. Ah ! Aussi : avec ses yeux fatigués elle m'apportait toujours quelques petits raccommodages, ourlets, reprises, etc. Que Lucette n'hésite pas à se servir de ma boite de couture !

    Je me prends quelques vacances. Après bien sûr il me faudra organiser ma nouvelle vie.  Ma soeur, que j'ai prévenue, passera à l'occasion voir comment vont les enfants et me donnera de leurs nouvelles. Je te déconseille de lui présenter Lucette.

    Sur ce, je te souhaite une merveilleuse lune de miel , quel chance tu as d'être à nouveau dans la passion, libre de toute entrave !!"


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