•  

     

     

    (le jeu de Lakévio)

     

    115640585

     

    Maman et Papa dorment encore, cette casse-pied d'Emilie aussi. C'est le coq des voisins qui m'a réveillée. Mais il a bien fait : comme ça je pourrai aller à mon rendez-vous !  J'ai fait bien attention à ne pas faire de bruit. Car il m'a prévenue : "tu sais comment sont les parents, ils ne veulent jamais que l'on s'amuse". C'est vrai ça ! Même si ce sont les vacances il faut que je travaille mon piano, que je  lise.. "la maîtresse a insisté", me répète tout le temps Maman, mais moi j'aime pas lire, j'aime courir dehors, attraper des tétards dans la mare, jouer avec le chien du voisin, des choses rigolottes comme ça.

    Mon ami, car j'ai un ami, un vrai ! est d'accord avec moi : "tes parents ne te comprennent pas, tu es une petite fille pleine de vie, créative" ; Bon je ne sais pas ce que ça veut dire "créative", mais ça doit sûrement être très bien.

    J'ai trouvé cet ami près de l'étang un jour où je m'étais un peu éloignée. Je sais, j'ai pas le droit mais là-bas  je peux trouver des grenouilles. Il pêchait et m'a montré les poissons qu'il avait attrapés. Puis il a fouillé dans sa sacoche et m'a donné des bonbons. "Maman ne veut pas que j'en mange, elle dit que ça abîme les dents" "C'est vrai m'a dit mon ami en souriant, mais un ou deux de temps en temps, ça ne peut pas faire de mal". Comme il a vu que j'aimais ça il m'en apporte toujours, mais pas trop à la fois "pour tes dents" me dit-il. Il est si gentil.

    Il m'a posé des questions. Mais pas sur des trucs nuls comme l'école, non il m'a demandé ce que j'aimais faire, comment j'occupais mes vacances, si j'avais des copines et même si j'avais un petit copain ! Quelle drôle d'idée, les garçons c'est nul, je le lui ai dit et il a ri "plus tard tu changeras d'avis". Ca m'étonnerait !"

    Je suis allée le voir presque tous les après-midi. Maintenant il m'apporte aussi des petits jouets mais il m'a dit de ne pas le dire à ma famille "les parents n'aiment pas que l'on gâte trop leurs enfants, ils ont peur que ça les rende capricieux mais toi tu es si intelligente comme petite fille, ce sera notre secret". Du coup je les cache dans un buisson dans le jardin, cette peste d'Emilie ne les trouvera pas ! Elle elle ne risque pas de se faire un ami comme moi, elle n'est pas assez créative ni intelligente.

    Hier mon ami m'a proposé un truc génial  : de me réveiller tôt et de le rejoindre dès le matin, sans le dire à personne et qu'il allait m'emmener dans un endroit magique. Je lui ai demandé s'il était loin cet endroit magique, car je n'en connais pas par ici, il m'a dit que non mais qu'il fallait quand même prendre la voiture et que comme ça il pourrait me raccompagner très vite avant qu'on ne s'aperçoive de mon absence.

    Je sais bien que Maman m'a dit de ne jamais monter en voiture avec des inconnus. Mais ce n'est pas un inconnu puisque c'est mon ami.


    11 commentaires
  •  

     

    (le jeu de Lakevio)

    115626062

     Plus d'une heure que je l'attends . Il ne viendra plus. Je vais rentrer chez moi et oublier cette sottise. J'ai du repassage à faire. Et ce soir j'accueillerai Paul comme tous les soirs et il ne saura pas qu'aujourd'hui, pendant qu'il recevait ses patients, sa vie a failli basculer. Ni que, pendant que nous dînerons et que je l'écouterai en souriant, mon coeur sera brisé.

    Il y a dix ans j'ai vécu cette folle passion avec Damien. Je le retrouvais tous les jours après avoir déposé les enfants à l'école. Son métier de musicien lui permettait d'être aussi libre que moi. Ce fut un tourbillon pendant environ six mois, j'avais l'impression de revivre ! Je me sentais belle et désirable.

    Mais la réalité nous a rattrapés : D'abord il a eu cette proposition de contrat totalement inespérée, aux Etats Unis et ensuite moi j'avais de plus en plus de mal à jongler avec mon emploi du temps. Les enfants , avec leur redoutable instinct, sentaient que leur maman avait souvent la tête ailleurs et ne leur était plus totalement dévouée. Paul devenait suspicieux et se plaignait de l'affadissement de nos relations. Ma mère me reprochait de ne plus lui consacrer de temps. Même le chien qui n'avait plus son content de sorties au parc ! La maison aussi était en jachère, je faisais juste le minimum.
    Je m'étais dédoublée : mon corps était là, dînait en famille, se promenait en famille, faisait faire les devoirs, donnait la réplique à Paul, répondait aux enfants. En quelque sorte en fonctionnement automatique ! Toutes mes pensées étaient auprès de Damien. Plusieurs fois j'ai frôlé la catastrophe. Comme cette fois où Lilian a été malade à l'école et qu'ils n'ont pas réussi à me joindre de toute la journée. "Mais où donc étais-tu ?" m'a demandé Paul.  Et d'autres fois encore. Ce n'est pas facile à mener une double vie !

    Donc une triste journée de novembre on s'est dit adieu. L'avion de Damien décollait  deux heures plus tard. Nous pleurions tous les deux et en même temps, parallèlement à mon désespoir, je me demandais comment j'allais expliquer mes yeux gonflés au retour...

    C'est Damien qui a eu l'idée. Il m'a dit : "Il ne faut pas qu'on s'écrive, ni qu'on se téléphone, il faut qu'on reprenne notre vie d'avant, autrement ce sera trop dur. Par contre, parce que je ne supporte pas l'idée de "plus jamais"  on va se donner rendez-vous dans dix ans jour pour jour. Tu te souviens du café sous les arcades où je me suis déclaré ?"

    Bien sûr que je m'en souvenais !

    Avec les années mon chagrin s'est un peu apaisé. Je me suis consacrée aux enfants, ils m'ont apporté beaucoup de bonheur. Puis ils sont partis vivre leur vie. Notre relation avec Paul sont devenues une amitié tendre, ce n'est pas si mal. Maman est morte, je me suis beaucoup occupée d'elle ses dernières années. Mais j'ai gardé au fond de moi ce rendez-vous du 9 novembre.

    Mais il n'est pas là. Il a dû se marier, avoir des enfants. Il était plus jeune que moi. Il m'a oubliée ! Comment aurait-il pu en être autrement ? " Garçon ! L'addition s'il vous plaît ! ". Et en plus il fait un temps de chien... normal en novembre... Allez ouste... arrête de rêver ma fille ! Une vraie midinette, pfff...

     

    "Excusez-moi Belle Dame, je peux vous offrir un autre café  ? Après dix ans l'autre devait avoir un goût de réchauffé, non ? "


    5 commentaires
  •  

    (le jeu de Lakévio)

     

    harold harvey

     

    - " Tu sais quoi ? L'Antoine il a aidé son père  pour mettre le veau au monde ! Moi je suis bien plus vieux qu'lui et jamais Papa il n'a voulu que je l'aide, jamais. C'est pas juste !  J'aurais bien voulu apprendre moi, savoir comment on f'sait. Il faut puisque je veux être fermier plus tard ! "

    - "Tu sais bien que Papa ne veut pas ! Il dit que c'est trop dur , il veut qu'on fasse des études et qu'on aille travailler à la ville"

    - " Mais moi j'veux pas partir ! Et j'aime pas l'école !  Toi c'est ton truc, t'es toujours dans les livres, ça m'étonne même que t'en ai pas un là ! "

    -" J'en ai un dans mon sac "

    -"Ben voilà ! Moi j'aime pas lire, j'aime qu'être dehors, m'occuper des bêtes et j'voudrais conduire le tracteur mais Papa veut jamais ! "

    -" Papa a dit que si tu ne te mettais pas à travailler à l'école cette année, tu irais à l'Usine, comme Oncle Fernand, et que ce serait toujours mieux que la ferme ! "

    -" J'veux pas aller à l'Usine ! T'as qu'à y aller toi !"

    - " Moi je serai institutrice ou secrétaire. Ou docteur.  En ville. Madame Lechot m'a dit qu'avec mes résultats je pouvais tout faire ! Comment ils l'ont appelé le veau ?"

    - "Dominique, ha ha ha ! c'est nul ! C'est Antoine qui a choisi, ça m'étonne pas : quel naze !  Fallait voir comme il frimait à l'école, on aurait dit que c'est lui qui avait tout fait, pfffff Il a même dit qu'un veau c'était bien mieux qu'un bébé, parce que l'bébé y faisait qu'dormir, un veau ça s'met debout très vite".

    - "Le bébé est mignon, j'l'ai vu à la Messe l'autre jour. Moi j'aurais trois enfants. Ou quatre."

    -" C'est nul. Moi c'que j'veux c'est des troupeaux : des vaches, des moutons, des ..."

    -"Tu sais qu'il faudra te lever plus tôt que maintenant, pour la traite et tout ça. Déjà que t'as du mal pour l'école !  Et tu ne pourras pas partir en vacances. Regarde sauf la classe de mer on n'est jamais parti. Moi je veux voir le monde ! "

    - " M'en fiche du monde, j'veux rester ici. C'est  chez moi.


    6 commentaires
  •  ( le jeu de Lakévio)

     

    Presque vingt heures déjà. C'est ça l'été : on termine tard. Il faut finir le champ avant les orages qu'ils annoncent pour demain. Et demain quatre autres à labourer, j'espère que ce sera possible.  J'aime ce moment où le jour baisse, où la chaleur diminue et ce calme,  ce silence qui s'abat, certains oiseaux se taisent  enfin, pas tous,  ça ce sera de courte durée parce que grenouilles et chouettes vont prendre le relais et ce sera un beau tintamarre aussi ! J'aime cet endroit, ma terre, avec la rivière en contrebas, surtout le soir en été, comme maintenant, même si les journées sont longues et qu'il y a toujours quelque chose à finir.
    D'où je suis je vois ma ferme au loin, je distingue même le chien dans la cour, je n'ai pas voulu l'emmener, il course les moutons du champ d'à côté, je l'ai mal dressé. Les gosses le gâte trop.
    D'ici une demi-heure je pense rentrer, la Marie aura fait manger les gamins, peut être elle aussi. moi ce ne sera pas pour tout de suite, il me reste les cochons à nourrir, aller voir la Marguerite, j'ai bien vu pendant que je trayais les vaches tout à l'heure,  elle ne va pas tarder à faire son veau, cette nuit peut-être ? Et aussi l'eau pour la volaille, la Marie n'arrive plus à soulever l'arrosoir si près du terme, le médecin le lui a interdit.  Elle en fait déjà beaucoup, je vois bien qu'elle peine.
    Tiens je me demande laquelle va "mettre bas" la première : cette brave marguerite où ma femme, ha ha ! Si elle m'entendait je suis sûr que ça la fâcherait, pourtant c'est pas méchant. Pour La Marguerite je préfèrerais que ce soit une femelle, depuis la mort de la Noiraude, j'ai une place à l'étable. Pour nous ça m'est égal, on a déjà les deux, mais un gars de plus pour m'aider plus tard quand je serai vieux, je ne dirais pas non.

    Je vois le Père Lenoir, il arrête tout peu à peu. Il loue ses champs, quand il y arrive, pas tous, certains ne sont plus entretenus, ils tournent en prairie. Il s'est débarrassé de son troupeau. Les machines restent dans la grange. Ca doit être un crêve-coeur ! Il lui reste le potager et quelques poules, mais bon. Ah si ! Il s'est acheté deux ânesses, qui ne servent à rien, ça l'occupe ! Et ses vignes, il a dû les vendre ! Pas marrant de vieillir seul, enfin avec sa femme, sans gars pour continuer la ferme. Ils ont bien une fille mais elle est mariée en ville.

    "Papa ! Papa ! "

    "Qu'est ce que tu fais là , Toine ?"

    "Papa, les pompiers sont v'nus, ils ont emmené Maman à l'hôpital et la Marguerite n'arrête pas de meugler, on n'entend qu'elle ! "

    "Tudieu ! Et où est la p'tite ?"

    " J'l'ai donnée à la Mémée pour venir te chercher, mais faut qu'tu viennes, elle arrivera pas à courir après"

    "On y va Toine, aide moi à bâcher le tracteur pour s'il pleut. Va falloir que tu m'aides mon gars. Pendant que j'vais à l'étable, tu couches ta soeur, tu sauras ?"

    "Ouais P'pa !"

    "Je crois qu'ta mère lui met encore une couche la nuit, tu sauras ? "

    "Ouais j'l'ai déjà vu faire ! "

    " Pendant c'temps j'vais à l'étable, faut qu'j'vois si va falloir appeler le véto ou pas, si non va falloir que j'reste sur place. Toi tu restes près de ta soeur et dès qu'elle est endormie tu me rejoins à l'étable, je vais peut être avoir besoin de ton aide, prends le téléphone avec toi, des fois qu'on nous appellerai de l'hôpital  pour le bébé"

    "Dis P'pa, j'avais une idée pour le bébé, je voulais l'appeler Dominique comme mon mono de foot, et puis ça allait pour une fille aussi, mais Maman elle veut pas !"

    "Ecoute, Toine, la Maman c'est elle qui fait le travail, et j'vois bien avec les bêtes, c'est pas une partie de plaisir, alors moi j'dis qu'elle mérite bien d'être celle qui choisit, non ? Et elle a bien choisi pour toi et Perrine non ?"

    "Oui. Mais j'aimais bien Dominique"

    " Hé ben, tu sais quoi, le veau, c'est toi qui choisira ! "

    " Youpi ! J'vais l'appeler Dominique !!!"

    " Ha  ha , ça va rigoler au village ! Mais, ma foi, si ça te fait plaisir, après tout je crois que tu vas devoir m'aider à le mettre au monde et on risque d'y passer la nuit"

    "Comme Maman je l'aurais bien mérité ! "

    "Oui, voilà !"


    6 commentaires



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires