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    Le Jeu de Lakévio

     

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    Je vais leur montrer à tous de quoi je suis capable !

    A Djamila la première, cette salope ! Qui m'a largué  alors que je voulais me marier avec elle ! Pour une ou deux petites gifles de rien du tout ! Et méritées, faut toujours qu'elle la ramène, qu'elle me tienne tête. C'est qui l'homme ? Ma grand-mère avait raison qui m'avait dit de ne pas chercher une femme ici, "va au bled pour te trouver une épouse obéissante, ici les femmes veulent diriger ! "  Je lui aurais bien foutu la raclée du sièce à Djamila mais je sais qu'elle a ses deux frères qui surveillent. Je l'ai suivie pendant plusieurs jours mais ils n'étaient jamais loin. Ha ha , elle a peur de moi quand même ! ! Du coup ils jouent les gardes du corps !  C'est de leur faute aussi : ils n'avaient qu'à la dresser ! Moi ma frangine faut voir comme elle me craint, depuis tout petit je l'ai mise au pas ! Dès que ma mère avait le dos tourné je lui en flanquais une pour me faire respecter. Chuis un homme quoi ! Ca fait rien, je vais la punir autrement la Djamila, elle va voir le Héros qu'elle a raté !

    Et à mon père qui ne m'a jamais compris. Il voulait que je réussisse à l'école mais moi j'aimais pas ça. Pourquoi je les aurais écoutées ces bonnes femmes qui voulaient me donner des ordres ? Leur place c'est leurs cuisines et s'occuper de leurs familles. Des putes avec leurs talons aiguilles et leurs corsages transparents. Elles osaient élever la voix sur moi, une fois j'en ai bousculé une, ça a fait du grabuge, j'ai été renvoyé du collège. Et mon père qui n'a rien compris, qui m'a tabassé et qui m'a inscrit dans un autre collège !! "il faut que tu fasses des études, pour t'élever au dessus de ta condition, ce que je n'ai pas pu faire moi. Je veux que mon fils ait un beau métier et qu'il soit respecté" et gna gna gna... toujours le même baratin. Il veut qu'on deviennent des français, c'est un traître ! Mais à moi seul je vais racheter toute la famille ! Et ils vont me respecter, Papa, tu verras !!

    Sans oublier aussi  coach qui m'a viré de l'équipe de foot l'autre jour. Parce que j'avais fait les poches des autres dans les vestiaires. Ben, quoi, j'ai des besoins ! Ma mère elle laisse plus traîner son porte-monnaie et j'peux plus taxer Djamila. C'était pratique avec ses baby-sitting, elle avait toujours du fluss sur elle !

    Il m'a traité de voleur devant tout le monde et a parlé de ma violence et de conneries comme ça . J'avais la haine.  Mais lui aussi il va voir le Superman qu'il avait dans son équipe, il va regretter.

    C'est que je suis malin moi : je suis allé sur Internet et j'ai bien étudié. Ca m'intéressait plus que l'histoire de ce pays de mécréants ou leurs livres de tapettes.
    Je les ai contacté et on m'a tout procuré. Y en a même un qui m'a parlé sur skype et qui m'a dit que je suis  un Héros qui fera l'admiration et le respect de tous.

    Maintenant je me dirige vers le marché de mon quartier, c'est celui fréquenté par mes parents et par la famille de Djamila, avec un peu de chance ils y seront tous, inch Allah ! Mais c'est aussi le plus grand marché du quartier avec plein de mécréants , peut être les profs ou le coach, ce serait trop bien ...de toutes façon c'est bourré de monde le samedi matin en fin de matinée. La consigne est simple : je me mets au milieu de la foule et j'actionne ma ceinture !

    Ha ha ha, ce sera ma vengeance. Ils vont voir qui est le Chef ! Ils vont pleurer des larmes de sang ! Certains vont perdre leurs enfants et des enfants leurs parents, certains seront estropiés à vie et les survivants perdront le sommeil pour le reste de leur vie .
    Je vais être célèbre : on parlera de moi au Journal télévisé, à la radio. Mon prénom et mon nom seront cités dans les journaux. Tout le monde connaîtra mon acte de bravoure et ma valeur !

    Moi tout c'que j'perdrais c'est une  vie de minable, enfermé à l'Usine ou dans un garage à bosser pour des clopinettes, là-haut, ils me l'ont dit, une vie de Pacha m'attend, adulé par toutes ces vierges qui n'auront pas intérêt à faire des manières comme le Djamila ! Je serai le Roi du Monde !


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  • (le jeu de Lakévio)

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    Comme chaque jour elle était bien obligée de passer devant la maison mais elle accélérait le pas et regardait droit devant elle. Marcher sur le trottoir d'en face était pire : on pouvait encore mieux la voir des fenêtres et elle ne supportait pas le regard qu'elle devinait méprisant (ou triomphant ?) de l'Autre.

    L'Autre qui lui avait tout pris : son mari bien-aimé et cette maison  achetée ensemble il y a dix ans et qu'elle avait décoré avec tant de soin. Elle ne travaillait pas à l'époque, elle n'en avait pas besoin, alors elle avait écumé tous les magasins de déco de la région, acheté des tissus, des rideaux, une quantité de meubles. L'extérieur aussi : c'est elle qui avait planté les rosiers et toutes les fleurs cachées derrière les haies de thuyas. Comme elle s'était amusé à transformer cet endroit au départ assez austère en petit nid douillet. Elle avait même décoré une chambre d'enfant. Mais d'enfant il n'y avait pas eu... Tant mieux, dans un sens, c'est toujours traumatisants pour eux la séparation des parents.

    A chaque fois , c'est à dire deux fois par jour, qu'elle passait devant cette maison, elle essayait de ne pas imaginer l'Autre  assise dans le canapé de velours grenat, ou attablée à la cuisine, à siroter son café du matin, juste devant cette fenêtre là.

    Elle avait toujours l'impression de sentir son regard sur elle, la nuque lui en chauffait lorsqu'elle s'éloignait, ça lui brûlait le dos.

    Comme elle avait dû pavoiser lorsque Lionel avait choisi après des mois de tergiversations. Ce qu' il avait eu  l'air embarrassé lorsqu'il lui avait signifié son congé ! Pas un instant il ne l'avait regardée dans les yeux. Il avait tout  prévu : en lot de consolation il lui avait proposé ce travail à la bibliothèque, ben tiens, il ne voulait pas l'entretenir, elle avait appris que l'Autre ne travaillait pas non plus. Deux bouches à nourrir ça aurait fait beaucoup . En tant que Maire adjoint il était au courant des disponibilités de sa commune.

    Elle n'avait pas eu d'autre choix que d'accepter. Elle devait reconnaître qu'il avait joué fin : il savait qu'elle adorait lire et que les longues études littéraires qu'elle avait poursuivies lui donneraient la compétence requise, ce parachutage à un poste convoité ne pourrait donner lieu à des critiques.
    Dommage simplement que le seul chemin pour s'y rendre passe devant la maison.

    Il y a juste une chose que le prévoyant Lionel n'avait pas imaginée : la présence d' Yvan, son nouveau collègue, celui qui s'occupe du secteur vidéo, qui, la voyant pleurer derrière les rayonnages de livres les jours qui suivirent son arrivée trouva les mots pour la consoler et adoucir sa peine. De plus en plus et de mieux en mieux. Au point que bientôt elle ne pleura plus, elle avait seulement du mal à passer devant la maison.

    "Je connais cette femme, lui avait il dit un jour, elle est trésorière du club multisports (un vivier pour elle !) ton mari te reviendra, une fois qu'elle a eu ce qu'elle veut, elle se désintéresse de sa proie et part vers un autre défi à relever, elle a un sacré palmarès avec les hommes mariés et souvent même pères de famille.

    "Il me reviendra ? Mais moi je n'en voudrai plus ! Comment pourrais-je lui pardonner ? C'est toi que je veux à présent ! "

    "Ma chérie ..."


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  • Le jeu de Lakévio

     

    Elle m'a bousculée pour entrer dans la rame. Elle m'a même marché sur le pied. Ca fait mal avec des nu-pieds ! Elle ne s'est même pas excusée ! Il y a vraiment des gens mal-élevés !

    En plus elle est ridicule avec ses lunettes de soleil dans le métro, comme s'il y avait du soleil ! C'est pour faire "genre". Une frimeuse !

    Mais je n'ai pas dit mon dernier mot. J'ai vu le titre du livre qu'elle lit. C'est un thriller. Plutôt pas mal : du genre à passer une nuit blanche pour connaître le tueur à la fin ! C'est ce qui m'est arrivé et le lendemain matin je n'étais pas fraîche au boulot. Je me souviens de la réflexion de mon patron : "Dis donc Simone, tes nuits de folie tu ne pourrais pas les grouper en fin de semaine ? ". Je n'ai pas donné d'explications, un livre... il se serait moqué de moi ! Il n'est pas du genre à imaginer qu'un livre puisse vous faire passer d'aussi bons moments. Et pourtant ce livre là, c'est le cas : on oublie tout pendant quelques heures, on s'y noie et lorsqu'on le ferme à la fin, on est tout étonné de se retrouver dans notre univers quotidien (si terne en ce qui concerne le mien). Et quel suspens, bien ficelé !

    Bon j'arrive à ma station : "Pardon, je descends , pardon ... Et au fait, le tueur c'est le Docteur Ambert, on ne s'en douterait pas hein ?  "

    Ah mais ! j'aime pas qu'on m'écrase les orteils moi !


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    (le jeu de Lakévio)

     

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    Maman et Papa dorment encore, cette casse-pied d'Emilie aussi. C'est le coq des voisins qui m'a réveillée. Mais il a bien fait : comme ça je pourrai aller à mon rendez-vous !  J'ai fait bien attention à ne pas faire de bruit. Car il m'a prévenue : "tu sais comment sont les parents, ils ne veulent jamais que l'on s'amuse". C'est vrai ça ! Même si ce sont les vacances il faut que je travaille mon piano, que je  lise.. "la maîtresse a insisté", me répète tout le temps Maman, mais moi j'aime pas lire, j'aime courir dehors, attraper des tétards dans la mare, jouer avec le chien du voisin, des choses rigolottes comme ça.

    Mon ami, car j'ai un ami, un vrai ! est d'accord avec moi : "tes parents ne te comprennent pas, tu es une petite fille pleine de vie, créative" ; Bon je ne sais pas ce que ça veut dire "créative", mais ça doit sûrement être très bien.

    J'ai trouvé cet ami près de l'étang un jour où je m'étais un peu éloignée. Je sais, j'ai pas le droit mais là-bas  je peux trouver des grenouilles. Il pêchait et m'a montré les poissons qu'il avait attrapés. Puis il a fouillé dans sa sacoche et m'a donné des bonbons. "Maman ne veut pas que j'en mange, elle dit que ça abîme les dents" "C'est vrai m'a dit mon ami en souriant, mais un ou deux de temps en temps, ça ne peut pas faire de mal". Comme il a vu que j'aimais ça il m'en apporte toujours, mais pas trop à la fois "pour tes dents" me dit-il. Il est si gentil.

    Il m'a posé des questions. Mais pas sur des trucs nuls comme l'école, non il m'a demandé ce que j'aimais faire, comment j'occupais mes vacances, si j'avais des copines et même si j'avais un petit copain ! Quelle drôle d'idée, les garçons c'est nul, je le lui ai dit et il a ri "plus tard tu changeras d'avis". Ca m'étonnerait !"

    Je suis allée le voir presque tous les après-midi. Maintenant il m'apporte aussi des petits jouets mais il m'a dit de ne pas le dire à ma famille "les parents n'aiment pas que l'on gâte trop leurs enfants, ils ont peur que ça les rende capricieux mais toi tu es si intelligente comme petite fille, ce sera notre secret". Du coup je les cache dans un buisson dans le jardin, cette peste d'Emilie ne les trouvera pas ! Elle elle ne risque pas de se faire un ami comme moi, elle n'est pas assez créative ni intelligente.

    Hier mon ami m'a proposé un truc génial  : de me réveiller tôt et de le rejoindre dès le matin, sans le dire à personne et qu'il allait m'emmener dans un endroit magique. Je lui ai demandé s'il était loin cet endroit magique, car je n'en connais pas par ici, il m'a dit que non mais qu'il fallait quand même prendre la voiture et que comme ça il pourrait me raccompagner très vite avant qu'on ne s'aperçoive de mon absence.

    Je sais bien que Maman m'a dit de ne jamais monter en voiture avec des inconnus. Mais ce n'est pas un inconnu puisque c'est mon ami.


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    (le jeu de Lakevio)

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     Plus d'une heure que je l'attends . Il ne viendra plus. Je vais rentrer chez moi et oublier cette sottise. J'ai du repassage à faire. Et ce soir j'accueillerai Paul comme tous les soirs et il ne saura pas qu'aujourd'hui, pendant qu'il recevait ses patients, sa vie a failli basculer. Ni que, pendant que nous dînerons et que je l'écouterai en souriant, mon coeur sera brisé.

    Il y a dix ans j'ai vécu cette folle passion avec Damien. Je le retrouvais tous les jours après avoir déposé les enfants à l'école. Son métier de musicien lui permettait d'être aussi libre que moi. Ce fut un tourbillon pendant environ six mois, j'avais l'impression de revivre ! Je me sentais belle et désirable.

    Mais la réalité nous a rattrapés : D'abord il a eu cette proposition de contrat totalement inespérée, aux Etats Unis et ensuite moi j'avais de plus en plus de mal à jongler avec mon emploi du temps. Les enfants , avec leur redoutable instinct, sentaient que leur maman avait souvent la tête ailleurs et ne leur était plus totalement dévouée. Paul devenait suspicieux et se plaignait de l'affadissement de nos relations. Ma mère me reprochait de ne plus lui consacrer de temps. Même le chien qui n'avait plus son content de sorties au parc ! La maison aussi était en jachère, je faisais juste le minimum.
    Je m'étais dédoublée : mon corps était là, dînait en famille, se promenait en famille, faisait faire les devoirs, donnait la réplique à Paul, répondait aux enfants. En quelque sorte en fonctionnement automatique ! Toutes mes pensées étaient auprès de Damien. Plusieurs fois j'ai frôlé la catastrophe. Comme cette fois où Lilian a été malade à l'école et qu'ils n'ont pas réussi à me joindre de toute la journée. "Mais où donc étais-tu ?" m'a demandé Paul.  Et d'autres fois encore. Ce n'est pas facile à mener une double vie !

    Donc une triste journée de novembre on s'est dit adieu. L'avion de Damien décollait  deux heures plus tard. Nous pleurions tous les deux et en même temps, parallèlement à mon désespoir, je me demandais comment j'allais expliquer mes yeux gonflés au retour...

    C'est Damien qui a eu l'idée. Il m'a dit : "Il ne faut pas qu'on s'écrive, ni qu'on se téléphone, il faut qu'on reprenne notre vie d'avant, autrement ce sera trop dur. Par contre, parce que je ne supporte pas l'idée de "plus jamais"  on va se donner rendez-vous dans dix ans jour pour jour. Tu te souviens du café sous les arcades où je me suis déclaré ?"

    Bien sûr que je m'en souvenais !

    Avec les années mon chagrin s'est un peu apaisé. Je me suis consacrée aux enfants, ils m'ont apporté beaucoup de bonheur. Puis ils sont partis vivre leur vie. Notre relation avec Paul sont devenues une amitié tendre, ce n'est pas si mal. Maman est morte, je me suis beaucoup occupée d'elle ses dernières années. Mais j'ai gardé au fond de moi ce rendez-vous du 9 novembre.

    Mais il n'est pas là. Il a dû se marier, avoir des enfants. Il était plus jeune que moi. Il m'a oubliée ! Comment aurait-il pu en être autrement ? " Garçon ! L'addition s'il vous plaît ! ". Et en plus il fait un temps de chien... normal en novembre... Allez ouste... arrête de rêver ma fille ! Une vraie midinette, pfff...

     

    "Excusez-moi Belle Dame, je peux vous offrir un autre café  ? Après dix ans l'autre devait avoir un goût de réchauffé, non ? "


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