• C'est pas tous les jours qu'elles rigolent, parole, parole

    Degas_toilette_Met.jpg

    Cinq heures du matin, j'ai enfin terminé ! Madame sera contente, je n'ai pas arrêté. Le samedi soir c'est souvent comme ça : un défilé ! La pire nuit de la semaine.

    Il faudrait que je me couche car je suis épuisée mais je ne peux pas tant que je ne me suis pas récuré chaque centimêtre de peau. Je savonne, je rince, je re-savonne, je re-rince, je frotte, je frotte. Je voudrais que ma peau parte avec leur odeur et avoir une peau toute neuve. Une peau qu'ils n'aient jamais caressée, pétrie, pincée, frappée parfois. Une peau qui n'appartienne qu'à moi et leur laisser l'autre, celle qu'ils salissent, celle qu'ils abîment.

    Et après je vais me soigner : me passer les crêmes qui calment les inflammations, qui tempèrent les bleus, qui apaisent les douleurs. J'ai mal partout. Seulement trois ou quatre violents cette nuit, je m'en tire bien. Une majorité de gluants, de pleurnichards, de vicieux. Au moins ceux là ne laissent pas leurs marques en partant. Juste leur odeur répugnante, il faut que je frotte encore pour m'en débarrasser.

    Et après, enfin, je pourrai me coucher et dormir. Au moins jusqu'au début d'après-midi demain.
    Souvent le dimanche après-midi il ya ce que Madame appelle "les matinées", comme au théâtre paraît-il. J'espère que non ou qu'ils en choisiront d'autres que moi, parce qu'après, le soir, ça recommence. Je rêverais d'une bonne journée complête de repos.

    Je mets mon argent de côté, enfin le peu qu'il me reste une fois que Madame et le Beau-Serge se sont servis. Je sais que ça prendra des années encore mais lorsque j'en aurai assez je partirai.
    La maison de mes parents sera peut être libre à ce moment-là, ils finiront bien par passer l'arme à gauche, je sais bien que la méchanceté conserve mais quand même.... 
    J'irai là-bas. Dans ce trou perdu jamais Madame ou le Beau-Serge ne me retrouveront, et, après tout, ils n'auront pas de mal à me remplacer, ils trouveront bien une naîve à attirer ici, comme ils l'ont fait avec moi.

    Ils ne se méfient pas de moi, je bosse dur et je ne me plains pas, ils me font confiance, j'ai le droit de sortir de temps en temps dans l'après-midi , pas comme cette idiote d'Elodie qui ne pense qu'à se sauver ! Celle-là ils l'ont à l'oeil !

    Je quitterai cette ville remplie de gros porcs et je rejoindrai à pied et à travers champs, pour que personne ne me voit passer et puisse le raconter, cet endroit que personne ne connaît. Je m'installerai, je repeindrai tout, j'arrangerai... Je me ferai un jardin potager et j'achêterai quelques poules et un chien, un gros, pour me défendre. Quand il y en aura je mettrai des fleurs, et de jolis rideaux aux fenêtres. Et je vivrai là, tranquille. Personne ne me touchera plus car jamais un homme n'entrera dans cette maison, jamais !


  • Commentaires

    1
    Lundi 11 Novembre 2019 à 12:29

    Tu m'étonnes, quel courage d'attendre.

    2
    Lundi 11 Novembre 2019 à 12:57
    le-gout-des-autres

     

    Tu nous as peint la journée d’une fille de maison close !
    C’est sûr qu’après ça, les hommes ne sont plus une autre préoccupation que financière et domestique.
    Parce qu’une fois chez elle, elle se trompe, il passera des hommes : Un maçon, un plombier, un électricien, un peintre, un plâtrier, un tapissier, etc.
    Parce que ce n’est pas avec son expérience professionnelle qu’elle aménagera la maison.
    Hélas, l’homme reste parfois utile…

     

      • Lundi 11 Novembre 2019 à 19:25

        d'accord mais ils ne feront que passer et bricoler, rien d'autre.

    3
    Berthoise
    Mardi 12 Novembre 2019 à 07:00
    Berthoise
    Triste vie, mais l'espoir lui permet de tenir.
    4
    Yvanne
    Mardi 12 Novembre 2019 à 10:40

    Comme moi, tu as choisi de parler de la vie acceptée ou non mais pas choisie en tout cas - d'une putain contemporaine de Degas. Je me suis documentée un peu avant d'écrire et ce peintre, comme beaucoup d'autres "utilisait" ces femmes dites "de mauvaise vie" - belle expression n'est-ce pas quand on ne la choisit pas, sa  vie - Il les méprisait, les jetait dehors et disait lui-même qu'il les utilisait comme des animaux.  Belle mentalité ! 

      • Mardi 12 Novembre 2019 à 15:18

        je l'ignorais, Yvanne, comme quoi être un artiste n'empêche pas d'être un sale type !

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    5
    Mardi 12 Novembre 2019 à 13:10

    Cela me rappelle une jeune femme qui vivait de ses charmes ( pas loin de notre chez nous ) du temps où nous vivions à Perpignan et avec laquelle j'avais sympathisé ( oui, je sais, ce n'est pas convenable ! ). Elle travaillait pour se payer une parfumerie. Elle tenait à peu de choses près le discours de ton devoir. Les hommes, elle en avait " jusque là ! )

      • Mardi 12 Novembre 2019 à 15:19

        oui c'est compréhensible !

    6
    Jeudi 14 Novembre 2019 à 08:10

    Quelle tristesse une telle vie ! L'espoir l'aide à tenir, mais arrivera-t-elle à s'enfuir...

      • Dimanche 17 Novembre 2019 à 15:08

        ça....qui sait ??

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :